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10 novembre 2024

Un ancien traversier de l'Isle-aux-Coudres , La Marjolaine, est démantelé sur les berges du Lac Ontario.

« Marjolaine », c’était une chanson mais ce fut également un traversier.

Il y a quelques semaines, la Garde côtière canadienne entreprenait des travaux qui ont fait disparaitre l’épave de la Jean Richard, la dernière goélette du Saint-Laurent et qui avait été construite à Petite-Rivière-Saint-François.

Dans le cadre d’un programme visant à retirer les épaves préoccupantes pour la sécurité humaine et pour protéger l’environnement, la Garde côtière canadienne a supervisé des travaux similaires ces des derniers jours, cette fois à Jordan, sur les berges du Lac Ontario.  Quelques rares nostalgiques de cette région de l’Ontario ont assisté aux opérations de démantèlement de l’ancien traversier La Marjolaine qui a relié quotidiennement l’Isle aux Coudres à Saint-Joseph de la Rive au cours des années soixante. Baptisé « Le Progrès », ce navire à vapeur construit à Lauzon en 1914, avait été conçu pour relier la Ville de Trois-Rivières à Sainte-Angèle-de-Laval. Le traversier avait une capacité de 25 automobiles, et pouvait transporter plus de 450 piétons. Luxe ultime pour l’époque, le navire possède un éclairage et est renforcé pour naviguer dans les glaces. Autres luxes, ces messieurs ont droit à un petit salon pour fumer pipes ou cigares et pour ces dames, un autre petit salon, éloigné du premier, pour le confort et l’intimité des passagères. Naturellement, en plus des automobiles, le traversier peut transporter des chevaux avec leurs attelages.

 La Verendrye

En mai 1930, à l’occasion des fêtes du « 300ième anniversaire » de la fondation de Trois-Rivières, la municipalité renomme le traversier « La Verendrye », en hommage à l’un de ses fils, Pierre Gaultier de Varennes, sieur de La Verendrye.

Au cours des ans, malgré les glaces dérivantes, quelques échouements, quelques abordages également, le vaillant petit traversier a transporté beau temps mauvais temps des milliers d’usagers.  Mais l’affluence était devenue telle que Trois-Rivières avait besoin de traversiers plus gros et plus efficaces.

Nouveau début

Au cours de l’automne 1956, sans tambour ni trompette, le petit bateau passeur est vendu à deux reprises avant de devenir la propriété du capitaine Stanislas Bouchard de Petite-Rivière-Saint-François. Le capitaine Bouchard a plus de 40 années d’expérience. Il a eu trois goélettes et il se sent près pour un bateau en acier. En quelques mois, le traversier devient « caboteur ».

En juillet 1957, on baptise le nouveau caboteur du nom de la benjamine du capitaine : La Marjolaine.

Le navire débute ses voyages, d’abord du bois de pulpe en provenance de la Gaspésie puis transport de marchandises vers la côte nord. Un passager bien connu s’embarque, le temps d’un tournage.  En effet, l’acteur Gilles Pelletier qui personnifie le capitaine Aubert dans le populaire feuilleton Cap-aux-Sorciers diffusé à Radio-Canada, se retrouve aux commandes de La Marjolaine pour quelques prises de vues.

Le navire de 137 pieds de longueur, transporte environ 300 cordes de bois.  Mais le capitaine Bouchard est déçu, car il espérait transporter un tonnage plus important. La coque arrondie de l’ancien traversier présente en effet un volume de flottaison plus faible que prévu et lors de l’embarquement de cargaison, La Marjolaines’enfonce plus rapidement qu’un caboteur classique, ce qui est un handicap, surtout quand la mer est mouvementée.

Traversier un jour, traversier toujours 

Pendant que Stanislas Bouchard demeure songeur sur les qualités de son navire, un groupe de résidents de l’Isle aux Coudres avec à sa tête le capitaine Joachin Harvey, est également songeur et fait lui aussi des calculs. C’est que les habitants de l’ile n’ont toujours pas accès à un traversier capable de naviguer 12 mois par année.   La goélette en bois qui fait le service ne peut pas naviguer dans les glaces.  Il faut un bateau en acier.

La nouvelle «Compagnie de Navigation Cartier Limitée » dirigée par Réal Harvey devient propriétaire de La Marjolaine le 11 décembre 1958.  on aime le nom, et la compagnie décide de le conserver. Le caboteur est à nouveau modifié et La Marjolaine redevient un bateau passeur. Le pont permet d’embarquer 22 automobiles et même un camion chargé de ballots de tourbe. Durée prévue d’une traversée : entre 15 et 20 minutes.

Le 29 août 1959, La Marjolaine débute ses traversées à l’année.  Au cours des années qui suivent, l’Isle aux-Coudres est mise en vedette, grâce principalement aux films réalisés par Pierre Perrault.   L’île devient rapidement une destination touristique.

Croisières dans le Saguenay

En 1969, l’affluence est telle sur l’Isle-aux-Coudres que La Marjolaine ne suffit plus. Le traversier Trois-Rivières,devenu surplus, est loué par la Compagnie de Navigation Cartier Ltée qui l’opère durant la belle saison, conservant La Marjolaine pour la période hivernale.

La compagnie inaugure à l’été 1971 un service d’excursions sur le Saguenay en utilisant durant l’été La Marjolaine. Avec une capacité de 100 passagers, le bateau amorce le 12 juin 1971 des excursions à partir de Chicoutimi, jusqu’à Bagotville.  Au cours de cette première année, plus de 10 000 personnes se seront embarqués sur La Marjolaine qui sera de retour au cours des deux années suivantes.

En 1974, La Marjolaine est requise par la Société des Traversiers du Québec pour effectuer le service de traversier saisonnier entre l’Ile-aux-Grues et Montmagny, jusqu’à la construction du Grues-des-Iles.

Le 5 décembre 1980, la STQ annonce que La Marjolaine a été vendue. Le vétéran a effectué 464 voyages au cours de l’année 1980. La Marjolaine fait un bref passage à Louiseville puis est remorquée en novembre 1981 à un quai de Côte-Sainte-Catherine, près de Montréal. Au cours de l’hiver 1982, les nouveaux propriétaires, transforment l’ancien traversier en restaurant flottant pour être en service dans le port de Montréal.

La rentabilité n’est pas au rendez-vous. Vers 1991, La Marjolaine est vendue et  remorquée, d’abord dans le Port de Montréal, pour une transformation à la « Walt Disney ». La Marjolaine est « maquillée » pour devenir la réplique d’un trois mâts portant désormais le nom de La Grande Hermine. Puis nouveau remorquage en juin 1993, cette fois vers Salaberry-de-Valleyfield, le bateau doit servir de restaurant flottant et d’attraction touristique.

Mais l’expérience s’avère une fois de plus non rentable. Devenu « persona non grata » le bateau/restaurant est pratiquement abandonné jusqu’à l’été 1997.

Le « bateau fantôme » de Jordan

Selon les rumeurs locales, le « faux » grand-voilier deviendrait un casino. Il a en effet été racheté par un homme d’affaires de Lincoln, en Ontario et le bateau est remorqué vers la marina Jordan Harbour près de St-Catharines, Ontario, le 1er juillet 1997. Attraction touristique? Restaurant ?  Mais surprise : on apprend que le promoteur est décédé subitement.

Abandonnée, la Grande Hermine accueille bientôt des jeunes sans abris qui, par un froid matin de janvier 2003, décident d’allumer un feu pour se garder au chaud.  Mais le vent vient troubler les environs et le feu devient incendie, brulant presque toute la structure en bois du faux-voilier.  Une fois les pompiers partis, il ne reste qu’une forme calcinée aux tôles déformées d’un ancien traversier, prénommée La Marjolaine, échouée à proximité de l’autoroute 406 QEW.

Une inspection menée en mars 2021 par la Garde côtière canadienne (direction des navires préoccupants) a révélé que « …l’épave de la Grande Hermine pose un niveau de danger important pour l’environnement, ainsi que pour la santé, la sécurité et le bien-être du public… ». La fin est proche Dans le cadre de son programme spécial visant à retirer les épaves préoccupantes, la Garde côtière canadienne a donné le feu vert à sa démolition. Aux moyens de barges et d’équipements lourds, la coque rivetée de l’ancien traversier est déchiquetée morceau par morceau et disparait de façon définitive. En cette fin d’octobre 2024, le vieux Le Progrès, alias La Vérendrye, alias La Marjolaine, alias La Grande Hermine avait 110 ans !

Source :  Hubert Desgagnés, conseiller scientifique du Musée maritime de Charlevoix.

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Démantelement en cours, La Grande Hermine ex La Marjolaine, 30 octobre 2024 (Michel Gosselin St-Catharines, On).

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Photo : courtoisie, René Beauchamp.

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